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Un bulletin météo d'une précision cinglante sur les variations climatiques de la vie d'un couple, par le réalisateur du remarqué Uzak. Dans la famille Antonioni, je demande le petit-fils turc. En effet, bien que Nuri Bilge Ceylan affirme s'inspirer de sa vie plutôt que de l'histoire du cinéma (ce qui est sans doute vrai), on ne peut s'empêcher de trouver un air de ressemblance entre ses films et ceux de Nobuhiro Suwa ou Tsai Ming-liang, tous descendants plus ou moins putatifs du maître italien de la modernité. Puissants liens entre lieux, climats et sentiments, défi à représenter ce qui est difficilement représentable car niché dans les interstices du dicible et du visible, à savoir le lent et imperceptible travail d'érosion qui corrode les âmes, les relations humaines, les couples, cette aliénation contemporaine aux causes multiples et difficilement discernables qui fait que, à certains moments de l'existence, l'homme moderne et supposé comblé s'ennuie de lui-même : autant d'éléments qui fondent le cinéma de Ceylan comme celui d'Antonioni. Le couple en crise, figure canonique du cinéma moderne, s'incarne ici en Isa et Bahar, interprétés par le cinéaste et sa propre épouse. Un couple d'intellectuels aisés (il est prof, elle travaille pour la télévision) qui se sépare à la suite d'un voyage touristique : la splendeur hiératique et muséale des ruines visitées annonçait donc les ruines de leur relation. Aucun événement précis, décisif, n'explique cette rupture. Ennui, routine, agacément, besoin de changement, prise de conscience d'un manque ? Rien n'est dit ou explicité par les personnages ou le récit : c'est juste que ça ne va pas, que ça ne va plus, que les personnages sentent ça à défaut de pouvoir l'expliquer, et si la mise en scène de Nuri Bilge Ceylan ne dit pas grand-chose, en accord avec ses personnages, elle fait tout ressentir, à coups de plans-séquences laconiques, de silences lourds, qui instaurent le malaise. On suit ensuite Isa dans sa solitude nouvelle, discussion avec un collègue, coucherie d'un soir avec une ancienne amante. Puis plus tard, c'est maintenant l'hiver, il tente de renouer avec Bahar. Alors que dans les comédies burlesques des débuts du cinéma pointait un fondement tragique, dans les chroniques vaguement dépressives de Ceylan existe un fond de sauce burlesque (comme chez Tsai Ming-liang). Il faudrait à peine décaler son regard pour percevoir dans les variations à la "je t'aime, moi non plus" de Climats une ébauche de comédie, sur le mode "quand tu veux, j'veux pas, et quand j'en veux bien encore, tu veux plus". Dans la longue scène intense où Isa couche avec sa maîtresse (un des climax des Climats), dans cette torride coulée de suspens erotique, le burlesque est bien présent, sous la forme drolatique et minuscule d'une cacahouète. Malgré tout, c'est quand même une sorte de désespoir tranquille, aphasique, en sourdine, fataliste, qui domine l'ensemble, et nul miracle rossellinien ne viendra rédimer cette sorte de version athée du Voyage en Italie. A la suite d'autres films (de Un couple parfait, Suwa encore, aux minicourts tournés avec un téléphone portable), Les Climats montre aussi que la technologie numérique ne sert pas qu'aux effets spéciaux infinis des blockbusters hollywoodiens : elle est aussi, en un pôle opposé, un vecteur d'allégement des procédures de tournage, un outil d'écriture de l'intime, un moyen pour un cinéaste d'épouser encore plus organiquement son matériau, sujet, personnages et acteurs mêlés. Impression de proximité et d'intimité renforcés ici par le fait que les personnages sont incarnés par le cinéaste et sa compagne. Les Climats est au cinéma d'auteur canonique et à celui d'Antonioni en particulier ce qu'un repas préparé à la maison est à la grande restauration : moins raffiné dans les détails, moins respectueux des codes hôteliers, moins sacralisé, plus brut de décoffrage, plus proche, diluant un peu plus la frontière ténue entre réalité et fiction, acteurs et personnages, vécu et projection. Dans le numérique de Climats se succèdent les saisons et se mêlent deux époques du cinéma et des images : celle de l'Auteur démiurge et surpuissant, et celle du roman conjugal filmé désormais à la portée de tous. ……………… Le COUPLE EN CRISE . EN 3 FILMS CLES L'Avventura de Michelangelo Antonioni (1960) Le Mépris de Jean-Luc Godard (1963)
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