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Liberation

Poésie  d'Anatolie
Du fond de la Turquie, «Nuages de mai» est un appel au calme poétique dans une société trop stressée.
Didier Péron, 21 Mars 2001

Depuis la «rumeur errante» de la «désespérance» chantée par Murat et censée venir tout droit d'Anatolie, on ne se tenait plus d'impatience. Avec Nuages de mai, cette attente est enfin satisfaite. Nuri Bilge Ceylan est né en 1959 et a passé son enfance dans un village, Yenice. Arrivé à Istanbul à 16 ans, il est d'abord ingénieur diplômé et se met à étudier la mise en scène à l'université Minar Sinan. Son premier long métrage, Kasaba, en 1998, est présenté au Festival d'Angers, où il obtient le prix spécial du Jury. Nuages de mai, son second film, présenté à Berlin, s'est vu décerner le prix européen de la critique 2000, le best film à Bruxelles et cette fois-ci le grand prix à Angers.

Ceylan est un peu le renouveau du cinéma turc à lui tout seul. On ne saurait que trop inciter le public stressé à découvrir Nuages de mai, que son auteur dit avoir conçu comme un «appel au calme» dans une société artificiellement speed: «Disons que ma culture m'incite à mener une vie simple, mais que le capitalisme et le monde moderne essaient de m'en empêcher», déclare-t-il, par exemple, dans le dossier de presse. Ceylan a été profondément transformé par la découverte du Silence d'Ingmar Bergman.

Ancien-moderne.
Quand on voit Nuages de mai, on pense moins à Bergman qu'à Kiarostami dans la manière de confronter l'ancien et le moderne, en l'occurrence ici le retour de Muzaffer, cinéaste urbain, chez ses parents, vieillards paysans. Une menace de confiscation par les autorités locales du champ et de la forêt que ces braves gens ont toujours cultivés et habités constitue la trame lâche nouant une suite de séquences contemplatives, fondées sur des temps faibles et une captation météorologique du monde où les événements arrivent à un à l'heure, où les plans sont balayés par le vent, baignés par le bruit des arbres.

Nuages de mai nous promène dans l'éblouissement printanier de l'arrière-pays, loin des fastes touristiques d'Istanbul, au cour d'une campagne virgilienne, séduisante mais aussi emmerdante, comme semble le dire l'un des personnages, jeune homme recalé aux examens et qui désespère de moisir dans ce trou. La tension entre vitesse-lenteur, ville-campagne travaille tout le film, le personnage principal se roule dans l'herbe pour observer une tortue et sillonne la région à tout berzingue dans sa bagnole. De même, ses parents existent à l'ancienne dans des maisons au confort rudimentaire, mais ils passent leurs soirées scotchés devant leur téléviseur.

Ali, garçon de 9 ans, endure cet enjeu symbolique, un ouf frais dans la poche qu'il doit garder un mois sans le casser. S'il y parvient, il décrochera l'objet de ses rêves, un briquet musical d'importation chinoise qui le fascine totalement. Le film ne milite pas pour un retour écolo-bricolo à la terre et à ses bonnes valeurs, il regarde plutôt rêveusement ce qu'il advient de ce territoire apparemment dépeuplé et largué, humant les parfums de la floraison mais aussi ceux du pourrissement.

Pique-nique.
Toute la dernière partie de Nuages de mai, avec ses allures de pique-nique nocturne en plein champ, dans un effort désespéré de Muzaffer et de son équipe de branquignols pour faire tourner son père dans le film, devient une sorte d'art poétique en action, une attention aussi passionnée et douloureuse dans l'organisation d'un cadrage que dans la cuisson des saucisses au feu de bois.