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Sinema Entretien
avec Nuri Bilge Ceylan Quand est né votre intérêt pour le cinéma ? Très tôt, comme beaucoup de monde, je suis allé énormément
au cinéma. A Yenice, le village de mon enfance, il y avait trois
cinémas - il n'y en a évidemment plus un seul aujourd'hui.
Le balcon était réservé aux familles, pendant l'entracte
nous regardions les filles à l'étage… il était
assez facile d'y faire des rencontres. Quand avez-vous pour la première fois ressenti l'envie de faire du cinéma ? Je ne saurais pas le dire exactement. Je crois que c'est une fois arrivé
à Istanbul, à l'âge de seize ans : j'avais vu Le Silence
de Bergman à la cinémathèque. Vous vous posez donc en héritier d'un certain cinéma ? L'influence des cinéastes qu'on aime bien apparaît forcément
dans la mise en scène ou dans la manière de placer la caméra
à tel ou tel endroit. Honnêtement, je pense être le
plus mal placé pour dire comment cela se reflète dans mes
films - une tierce personne serait plus apte que moi pour répondre
à cette question. Ils ont modifié votre vision du cinéma ? Du cinéma mais aussi du monde. Notre propre perception subit une
transformation au contact de l'objet artistique, nous pouvons sortir d'une
telle expérience avec un regard complètement autre sur le
monde qui nous entoure et commencer à voir des détails qui
nous étaient jusque-là imperceptibles. J'en arrive à
me demander s'il serait possible de retrouver une perception qui soit
naïve, de se glisser en quelque sorte dans la peau d'un enfant. A quoi l'attribuez-vous ? Je ne suis pas sûr que ce soit dû au vieillissement. Je relierais
plutôt ce phénomène au fait de vivre dans une société
de consommation. J'ai récemment lu dans les journaux cette histoire
d'un moine bouddhiste qui voulait prouver que nous vivions dans un monde
d'opulence. Comment la définiriez-vous ? Disons que ma culture m'incite
à mener une vie simple, mais que le capitalisme et le monde moderne
essayent de m'en empêcher.
En effet, mais il y a beaucoup d'avantages à travailler en équipe
réduite : vous pouvez étendre la période de tournage
beaucoup plus longtemps, et ainsi avoir une marge de liberté dans
la création beaucoup plus grande. Vous êtes très loin des conditions de production du tout venant du cinéma commercial. Les films qui m'intéressent partent toujours d'un désir
de faire un cinéma personnel. Même aux Etats-Unis, Hollywood
nous réchauffe toujours le même plat. En Turquie, le spectateur
est devenu tellement paresseux qu'il n'arrive même plus à
établir un rapport avec un cinéma un tant soit peu singulier
et différent. Même les critiques de cinéma commencent
à adopter les mêmes critères que le public : ne pas
s'ennuyer et prendre du plaisir. Les festivals ont permis au public de vous découvrir… Les festivals jouent un rôle d'autant plus important que certains
films ne peuvent trouver un public que dans ce type de lieux : celui d'Istanbul,
par exemple, m'a beaucoup apporté. Comment comptez-vous concilier votre exigence avec le contexte dans lequel vous vivez ? Le fossé entre le rythme de la vie moderne et mon propre univers
m'oblige à trouver une issue. J'ai envie de résister au
rythme du monde extérieur et de lui imposer mon propre rythme.
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