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Deux
en un
Grand triomphateur cannois, avec le palmé « Elephant », le troisième film du turc Nuri Bilge Ceylan s’avère, sans conteste, être à la hauteur de sa flatteuse réputation. Il partage avec le magnifique film de Gus Van Sant, une croyance absolue dans la force de la mise en scène comme vecteur quasi-unique de la puissance émotionnelle du cinéma. Les deux films sont extrêmement peu scénarisés, accordant du même coup une place centrale à l’imprégnation formelle du spectateur. Mais si « Elephant » est avant tout un film-concept au dispositif très particulier, « Uzak », lui, déroule superbement les fils classiques et poignants d’une belle méditation sur le temps à travers une histoire vieille comme le monde. Celle de l’indépassable solitude de chacun vue par le prisme du retour sur soi et son passé. Qu’a-t-on fait de sa vie ? Telle est la modeste et ambitieuse question soulevée par « Uzak », qui se garde bien de répondre mais qui déborde largement son cadre spatio-temporel pour tendre à l’universel, grâce à une rare économie de moyens et un impressionnant sens de la durée. Un hiver à Istanbul Mahmut est un photographe professionnel,
dont le travail pour une entreprise de carrelage, lui a assuré un certain
confort matériel. Les signes extérieurs d’aisance sont légion dans son
grand appartement bourgeois niché au cœur d’Istanbul. A vrai dire, rien
ne le distingue de tous les membres des classes moyennes supérieures qui
peuplent désormais les métropoles occidentales. Son ordinateur portable
dernier cri et les cinquante chaînes qu’il reçoit par satellite, le relient
au village planétaire. Mais il est seul, profondément seul, semblant porter
sur son triste visage le poids énorme des regrets et des actes manqués.
Il a tout du personnage houellebecquien, banal européen bien assis dans
la vie mais « structurellement » dépressif. Ses vagues relations occasionnelles
avec quelques femmes faciles ou ses visionnages honteux de films pornos
témoignent indéniablement de sa grande misère affective et sexuelle. Epure méditative Cela peut donc sembler peu
avenant mais les quelques lignes qui précédent sont pratiquement inutiles
tant les mots sont impuissants à résumer la beauté tout en retenue de
« Uzak », film d’une profondeur existentielle peu commune. L’œuvre de
Ceylan évite ainsi parfaitement les clichés sur la supériorité véritable
de l’authenticité rurale sur la modernité urbaine. Le cinéaste turc ne
tombe pas non plus dans la tarte à la crème de l’incommunicabilité entre
les êtres.
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