nbc home  


Figaroscope

 

Nuri Bilge, tête de Turc

Gwen DOUGUET, Le Figaroscope (France), 14 janvier 2004




Petites lunettes discrètes, barbe naissante, le cheveu court, la quarantaine en voie de consommation, Nuri Bilge est turc Istanbuliote doublé d'un cinéaste. Et pas n'importe lequel ! De la trempe d'un Guney. De ceux qui vous chahutent les neurones pendant longtemps. En mai dernier, la Croisette l'a couronné avec son film Uzak. Il est donc monté sur la scène du Palais du Festival pour recevoir son grand prix, puis y est revenu pour prendre celui destiné à ses acteurs avec une émotion non contenue, et pour cause, l'un d'eux, son cousin, Mehmet Emin Toprak, venait de mourir. Sept mois après, le réalisateur en parle toujours avec des troubles dans la voix.

Vous dites que la pub est un mensonge, mais le cinéma n'est-il pas une autre façon de mentir ?

Bien sûr, le cinéma a le pouvoir de mentir. Mais vous pouvez essayer de dire la vérité, votre vérité. En publicité, vous devez montrer que c'est mieux que la réalité.

En pub, vous vendez vos produits, au ciné vous pouvez vendre vos idées, votre vue du monde ?

Oui. Si vous faites un film pour vendre un produit, vous devez mentir, peut-être ! Si vous cherchez des millions au box-office, vous devez aussi mentir. Si vous recherchez la vérité, il vous faut l'éviter. C'est difficile de cacher ses intentions au cinéma. Je le crois. Vous ne pouvez pas éternellement vous dissimuler, que ce soit dans le texte, les images. Je veux rentrer dans les méandres de la vérité. Celle qui donne une conscience. J'essaie de raconter l'intérieur de la vérité.

Une forme d'exorcisme envers votre couple, votre vie ?

Quelque chose comme ça. Vous faites des erreurs. Si vous le racontez à travers le cinéma, c'est comme une thérapie.

C'est un film d'autant plus personnel que l'un des personnages aujourd'hui malheureusement disparu est joué par votre cousin ?

Oui. Ma relation avec Mehmet était très particulière. Puissante. Il était futé. Travailler ensemble a rendu notre relation plus puissante. L'autre acteur a aussi joué dans mes précédents films. Ce sont de bons amis. On parle, parlait de tout. Tout le temps. Là, je ne sais pas. On est allé plus loin.

Vous êtes un fan de Tarkovski, le héros regarde Stalker à la télévision ?

Oui, j'aime ce metteur en scène.

Pour en revenir au mensonge, vos films ne sont pas bavards, les mots peuvent-ils mentir plus facilement qu'un visage ?

Absolument. Je ne crois pas beaucoup ce que disent les gens. Ce qu'ils cachent est plus intéressant. Au spectateur de pouvoir le comprendre.

Comment vous sentez-vous aujourd'hui, intérieurement ?

Pire qu'avant. A cause de la mort de mon cousin. Mais comment pourrait-il en être autrement ?

Faudra-t-il faire un autre film pour exorciser cette douleur, même si on ne peut jamais l'effacer ?

Vous avez raison, ce genre de perte ressortira sûrement un jour où l'autre dans un de mes films.