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NURI
BILGE CEYLAN
« FAIRE UN FILMN’EST PAS COMPLIQUÉ »
Véronique le Bris, Zurban Paris, 14 Janvier 2004
Grand prix du jury et double prix d’interprétation
masculine à Cannes, « Uzak » dépoussière le cinéma turc et consacre un
nouveau réalisateur.
Zurban : Grand prix
du jury et double prix d’interprétation à Cannes… Que vous apportent toutes
ces récompenses ?
Nuri Bilge Ceylan : Elles aident à mieux vendre le film et à trouver le
petit public qui, dans chaque pays, aime ce cinéma. Partout, l’accueil
d’Uzak a été similaire. Ce qui prouve que la nature des gens ne varie
pas avec leur culture. Sans doute est-ce un effet de la mondialisation.
De la mondialisation ? Mais Uzak en est l’antithèse !
N.B.C : C’est vrai. C’est même un film autobiographique mais au sujet
universel. L’histoire peut se passer n’importe où, à Istanbul, à Paris,
à New York, à Tokyo. La vie urbaine rend les hommes plus réservés, plus
égoïstes, alors que les ruraux vivent partout avec le même instinct.
Qu’ils délaissent pour venir en ville.
N.B.C : Ça aussi, c’est universel. Le travail est en ville. Les jeunes
arrivent de la campagne plein d’espoir et d’énergie. Ils ne sont pas conscients
de la réalité et ont beaucoup de difficulté à s’intégrer.
Peut-être
faut-il les aider ?
N.B.C : Quand vous avez de l’argent, que vous n’êtes plus dans la situation
de demander, vous n’aimez pas aider. Si vous êtes plus faible, si vous
avez besoin des autres, vous le ferez, car en retour vous pourrez demander.
C’est cruel, mais c’est l’essence de la nature humaine ! La culture et
l’éducation nous enseignent la compassion ou la culpabilité.
De quel personnage êtes-vous le plus proche ?
N.B.C : Du photographe, bien sûr. J’ai longtemps gagné ma vie comme lui.
Même si j’ai grandi à la campagne, je suis aujourd’hui dans la même situation.
Et j’en souffre autant. Quand je reçois des gens chez moi, je ressens
cette mélancolie, cet égoïsme, ce vide…
Est-il vrai que vous avez tourné chez cous ?
N.B.C : (rides) Oui, mes cassettes vidéos !
Sur Uzak comme sur vos précédents films, vous avez tout fait,
de l’écriture à la distribution. Pourquoi ?
N.B.C : J’ai toujours autofinancé mes films. Mes scénarios sont trop particuliers
pour séduire l’industrie cinématographique turque, qui ne produit que
10 à 15 films par an (contre 300 dans les années 70), et plutôt commerciaux.
Les auteurs ne bénéficient d’aucune aide. Moi, j’ai la chance d’avoir
un public. En Turquie, Uzak a réuni 60 000 spectateurs, c’est bien pour
un film si personnel.
C’est vrai que votre principale source d’inspiration, c’est vous
!
N.B.C : Le plus dur dans le cinéma est de commerce. J’avais tellement
peu confiance en moi que, pour me sentir bien, je devais travailler avec
ma famille ou mes amis. Je n’avais rien à offrir à des professionnels.
Mes parents jouent dans mon premier court métrage qui, pour moi, ne ressemblait
pas à un film. Pourtant, Cannes l’a pris en compétition. J’ai alors commencé
à me sentir plus sûr de moi. Ma première fiction a été beaucoup plus facile
á faire. J’ai tourné de la même manière. Deux personnes derrière la caméra,
et devant, ma famille et mes amis, dans cette ville de l’Ouest où j’ai
grandi. Le résultat n’était pas très éloigné de mes intentions… Quand
vous gagnez cette confiance, tout devient plus facile. Car faire des films
n’est pas compliqué.
Peu de cinéastes le reconnaissent pourtant…
N.B.C : Les réalisateurs ont créé un mythe pour prouver que ce qu’ils
font est important. Ça semble difficile, mais ça ne l’est pas. Moi, j’avais
peur de commencer. Entre le moment où j’ai décidé d’être réalisateur et
mon premier jour de tournage, il s’est passé dix ans. Dix ans pour m’y
mettre ! Dix ans pour comprendre que j’aime les histoires simples racontées
simplement.
Minimalistes, non ?
N.B.C : Oui, j’essaie même de tourner les scènes sans dialogues. Parler
ne donne souvent pas beaucoup d’informations, les gestes, les mimiques
sont plus importances. Si cela ne fonctionne pas, je revois mon scénario
!
Vous êtes loin du cinéma français, jugé bavard !
N.B.C : J’adore Bresson, Bruno Dumont. Sautet aussi. Ses personnages parlent
beaucoup, mais vous comprenez qu’ils mentent ou se protègent. Et puis,
la France est le seul pays pour les auteurs. Et c’est sans doute là que
je ferai mon prochain film !
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CRITIQUE :
Si
loin, si proche
Addison De Witt, Zurban
Paris, 14 Janvier 2004
Ce film magnifique confirme
le talent d’un cinéaste qui était déjà, depuis son deuxième long métrage
Nuages de mai, le chouchou des festivals et des cinéphiles curieux.
Le personnage principal est
un peu l’alter ego du réalisateur : Mahmut, un photographe à la carrière
bien installée, mais qui s’interroge sur son avenir, voit un jour débarquer
un jeune cousin de son village natal, interprété par le jeune comédien
Mehmet Emin Toprak (mort accidentellement peu après le tournage). Celui-ci,
poussé par le chômage, cherche à quitter le pays en se faisant embaucher
sur un bateau. Il bouscule les habitudes de Mahmut, s’impose chez lui,
l’exaspère par son inculture et ses manières frustes. Le photographe comprendra
trop tard qu’il est passé à côté de l’amitié comme, d’une certaine manière,
il passe à côté de la vie.
Nuri Bilge Ceylan (prononcez
« Nouri Bilgué Djelan » filme l’incommunicabilité comme, avant lui, seul
peut-être Antonioni avait su le faire. Il a lui-même assuré la photo du
film et capte, avec un sens de la composition saisissant, la désolation
d’une ville, Istanbul, au diapason de la solitude de ses personnages.
Avec lui, par exemple, la vue d’un bateau échoué sur le port devient un
inoubliable moment de poésie. Aride, mais bouleversant.
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